Influencia, 13/03/2013 L’iPad, un tremplin vers le dixième art ? Dans le cadre de l’exposition Léonard de Vinci à la Cité des Sciences et de l’Industrie, une application invite le spectateur à s’immerger dans l’imaginaire bouillonnant du génie italien. Une expérience poétique et singulière, qui porte l’art numérique à son apogée. Un dialogue entre médias traditionnels et nouveaux médias Première étape, il faut pénétrer dans La boîte à secrets, l’agiter et choisir l’un des bouts de papier, qui s’envolera et ouvrira les portes d’un univers onirique spécifique. A chaque papier effleuré des notes jouées au violoncelle se font entendre, transformant l’écran en lieu de composition musicale expérimental. Ensuite, c’est l’entrée dans Le projecteur de rêves qui diffuse images fixes et mouvantes, sur quatre écrans en simultané. Comme des fragments de rêves, défilent ainsi des croquis, calculs et inventions du créateur. Le spectateur a le loisir de mixer l’ensemble et les différentes mélodies d’un quatuor à cordes qui sont déclinées, en agrandissant la surface d’un des quatre écrans. Dans le dernier univers intitulé La renaissance du peintre, l’utilisateur peut s’amuser à jouer avec les images, en les faisant tourner, en les déplaçant, voire en les distordant. Celles-ci s’accompagnent de boucles sonores : chants de baleines, de dauphins, sons électroniques, propres à incarner musicalement l’univers de Léonard de Vinci. A la fois graphique, musicale et interactive, cette œuvre est le fruit d’une collaboration qui transcende les âges, puisque le plasticien Nicolas Clauss et le musicien Jean-Jacques Birgé y revisitent l’univers du génie, grâce aux techniques modernes du gyroscope et du multi-touch. Syncrétisme temporel, superposition de matières, synesthésie qui fait se correspondre la vue, l’ouïe et le toucher, cette création affiche une ambition, celle d’un art total. A cela s’ajoute l’hybridation médiatique qui transcende l’oeuvre, puisqu’elle devient finalement plus que la somme de ses parties, quelque chose d’indéfinissable. Une création qui n’a d’autre but qu’elle-même Conçue en marge de l’exposition, cette application propose une nouvelle forme de pédagogie par les émotions et les sens. Sans utilité affichée, elle relève d’une contemplation gratuite, d’une rêverie poétique au gré des images vagabondes. A la manière de la poésie, cette oeuvre ne renvoie en effet qu’à l’univers singulier et coupé du réel qu’elle montre. Mouvante, indéfiniment recréée, elle est une réflexion sur l’acte d’inspiration et de création, une mise en abyme au service de Léonard de Vinci, figure emblématique du génie novateur. Des noms sont certes associés à cette entreprise, mais ils tendent à s’effacer humblement. La dimension collective s’accommode mal de revendication individualiste : il s’agit bien d’une réflexion sur le processus créatif qu’accompagne bien évidemment la dimension interactive de l’application. Une oeuvre d’art interactive On l’a vu, le spectateur est appelé à sortir de sa passivité pour devenir acteur grâce à la manipulation tactile. Il peut également concevoir ses propres tableaux par une capture d’écran, et les envoyer par mail, Facebook, Flickr... En choisissant une image, en décidant de la figer, l’utilisateur fait donc acte de création. Pour un peu, il se sentirait pousser des ailes d’artiste, effleurant avec jubilation le sentiment de toute-puissance créatrice. Le public et la machine participent ici à une forme de dialogue qui produit en temps réel une oeuvre unique. Combinaisons aléatoires et infinies Au terme de chaque rêve, il faut revenir dans La boîte à secrets et en choisir un autre. La multiplicité des éléments à manipuler - sons, notes, images - invitent dès lors à une expérience inédite. De fait, on peut assister à ce concert audiovisuel pendant plusieurs heures sans retrouver le même tableau. A la façon d’un kaléidoscope, « la machine à rêves » explore des potentialités presque infinies. La musique entêtante, lancinante du violoncelle participe à ce spectacle hypnotisant, proprement psychédélique. Point de déroulement linéaire ici, mais la sensation d’un temps circulaire qui nous ramène inlassablement aux origines de la création. Jamais achevée, cette oeuvre ne livre qu’une réalité parcellaire, et c’est ce qui crée l’envie d’y retourner, le fantasme de complétude. Explorer le champ des possibles, laisser une porte ouverte au hasard, rien de mieux adapté à la découverte d’un imaginaire fourmillant, aux méandres d’une âme traversée d’illuminations. C’est bien à cette tâche que s’attelle « la machine à rêves » : mener le spectateur dans l’inconscient d’un génie mort depuis des siècles mais qui a forgé notre modernité. D’où cet aspect hybride insolite, qui mêle éléments organiques et rouages, dans un ballet fascinant. Honnêtement, se trouvait-il quelqu’un de plus idéal que Léonard de Vinci pour servir de support à une telle réalisation à la fois technique et esthétique ? Séverine Charon
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