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Les Allumés du Jazz, N°10, Printemps 2004

LE SWING DE LA SOURIS, interview.

Nicolas Clauss peint des tableaux qui bougent et qui chantent. Sur le nouveau site des Allumés, tout beau tout chaud, l'artiste a accroché six modules interactifs dont la musique a été composée avec des musiciens qui nous sont chers. Internet est aussi un espace de création.


Depuis quand vous intéressez-vous aux musiques nouvelles issues du jazz ?

Tout a commencé en 1987-88, je me souviens d'un concert auquel m'avait emmené un ami, l'ONJ d'Antoine Hervé dans le gymnase du lycée, une révélation, je me souviens de musiciens incroyablement classe, une maîtrise que je ne soupçonnais même pas. Le vrai choc est venu dans la foulée, c'était un disque de Michel Portal, Turbulence. J'y ai découvert la clarinette basse et surtout que la musique pouvait être superbement déroutante, étrangement profonde. Ma mère tenait un magasin de disques à l'époque, du coup j'épluchais tous les catalogues de ses fournisseurs et achetais systématiquement les disques de clarinettistes basses (Louis Sclavis, Eric Dolphy, Sylvain Kassap, Denis Colin, Marty Ehrlich, André Jaume...). Puis j'ai passé des années à acheter «aux rayons jazz», de BBFC à Un Drame Musical Instantané en passant par Marc Ducret dont je suis le parcours depuis les premiers disques proprets chez Label Bleu jusqu'au très réussi qui parle ?.
A l'époque je faisais une fixation sur le «jazz» français, je m'étais même mis en tête de faire un livre sur le sujet, j'avais rencontré mes héros de l'époque, Claude Barthélémy, Yves Robert, Didier Levallet, Sylvain Kassap, Gérard Siracusa... Un projet jamais vraiment commencé. Avec le recul, je pense que c'était un prétexte pour rencontrer ces musiciens qui me faisaient rêver.

Qu'est-ce qui vous y séduit ?

La liberté, la créativité, ce sont les seules musiques, avec celles du monde, qui me surprennent, m'apaisent, me font rêver. Et puis il y a les instruments. Je suis très attaché aux instruments acoustiques, les cordes de Didier Petit, celles de Chevillon ou de Tchamitchian, le trombone d'Yves Robert, le tuba de Michel Godard... Je suis généralement plus attiré par les timbres, l'instrument comme extension du corps, que par la mélodie ou le rythme. Il y a heureusement de très nombreuses exceptions, de même que des sons synthétiques peuvent être superbes.
Si vous m'aviez lancé la tarte à la crème des cinq disques de jazz à emmener sur une île déserte, sans réfléchir j'aurais répondu :

Michel Portal Arrivederci/Le chouarste (avec Favre et Francioli) et Dejarme Solo, Urs Leimgruber Statement of an Antirider, Didier Petit Déviation, Denis Colin Clarinette basse seule. En citant ces disques je m'aperçois que quatre sont des disques solos, ce que je trouve assez cocasse venant d'un (ex ?) peintre !

Comment en êtes-vous arrivé à créer des modules interactifs sur Internet ?

Après une douzaine d'années passées avec pinceaux, brosses et spatules, j'ai totalement remis en question mon activité de peintre. Je cherchais un nouveau média. Après m'être essayé à des installations comprenant des objets et des projections diapos et super 8, je me suis inscrit fin 99 à la fac en ATI (art et technologies de l'image à Paris 8). Une intuition me faisait penser qu'il y avait, avec les ordinateurs, matière à trouver de nouveaux médiums qui me permettraient d'avancer. ATI tournait autour de la 3D, je me suis vite aperçu que ce n'était pas ma tasse de thé, trop laborieux et surtout d'une esthétique difficilement contournable et fort ingrate. Ma chance a été de me rendre à une expo conseillée par un des profs, c'était au Forum des Images, j'y ai vu les cédéroms Machiavel de Jean-Jacques Birgé et surtout Alphabet du même Birgé et de Frédéric Durieu et Murielle Lefèvre. Je n'ai pu manipuler Alphabet que quelques minutes mais ce fut un vrai choc. Je n'avais encore jamais utilisé de cédérom à l'époque et je n'ai rien compris du rapport entre mes mouvements de souris et ce que je voyais et entendais mais ça m'a totalement fasciné. C'était exactement ce que je cherchais. J'ai demandé à un collègue comment c'était fait, on m'a parlé d'un logiciel qui s'appelait Director. Avec, je pouvais jouer sur les superpositions de texture comme je le faisais dans la peinture et surtout je pouvais y manipuler du son, de la vidéo et de l'interactivité. J'ai passé trois mois dessus avec l'aide d'un très gros livre et j'ai réalisé un cédérom basé sur des musiques traditionnelles, de la peinture, de vielles photographies et des samples vidéo. Avec mon cédérom dans la poche je suis allé voir Murielle Lefèvre qui avait produit Alphabet. Le courant est passé, j'avais sous le coude des essais de danseurs interactifs pour le Net. Dans la foulée Murielle m'a fait rencontrer Frédéric Durieu qui nous a rejoint pour le projet Danse ! (présenté au Möbius 2000) et qui m'a appris les bases du lingo (le langage de programmation de Director). Fin 2000-début 2001, on s'amusait ensemble à faire des expérimentations interactives souvent basées sur la vidéo, et un soir on s'est dit que les objets que l'on créait pourraient très bien être mis en ligne, on n'y connaissait rien mais Kristine Malden, la compagne de Fred, nous a aidés à créer un site, LeCielEstBleu, au sein duquel nous a rejoints Jean-Jacques Birgé. Mais le peintre qui sommeillait en moi avait besoin de plus d'indépendance et d'autonomie, du coup j'ai créé mon propre site Web, Flying Puppet, en avril 2001. J'ai continué à créer ces objets étranges que j'ai appellés tableaux interactifs. Très vite, Jean-Jacques s'est offert de composer des sons ou des musiques pour eux, et nous avons depuis co-réalisé de nombreux projets.

Quel type de relation entretenez-vous avec les musiciens avec qui vous avez réalisé vos tableaux ?

Très bonnes. J'apprends énormément du travail collectif, avec Jean-Jacques Birgé par exemple, avec qui je travaille sur de nombreux projets. Mais avec lui ça ne se joue pas forcément en termes de musique, c'est souvent une collaboration qui ressemble à une co-réalisation, à une co-écriture interactivo-cinématographique même s'il ne manipule pas lui-même l'outil final, Director.
Avec tous, le point de départ est souvent une envie de bidouiller ensemble. Parfois le musicien fait ce qu'on lui dit de faire, parfois il bouleverse le projet initial. Ce qui m'intéresse en multipliant les expériences c'est la diversité des univers musicaux. Certains viennent de la mouvance jazz ou assimilée comme Jean-Jacques ou Didier Petit, Pascale Labbé et Jean Morières, Bernard Vitet... D'autres ont des univers plus spécifiques comme Patricia Dallio (Art Zoyd) ou Hervé Zenouda, d'autres encore viennent de musiques plus populaires comme Thomas Le Saulnier (les blérots de ravel) ou François Baxas.
Bien sûr j'adhère au couplet sur l'enrichissement de la rencontre, la confrontation des univers et tout ce qui s'en suit, mais j'ai tendance à travailler seul. Je ne pense pas qu'on devienne peintre par hasard avec tout ce que cela implique de solitude, le splendide isolement, de même qu'on ne devient pas musicien par hasard. Disons que mes collaborations avec les musiciens sont un supplément de bonheur, mais fondamentalement, en tant qu'artiste, j'ai besoin de me retrouver, de m'isoler pour créer, c'est une démarche intime et exclusive.

Quelle visibilité avez-vous sur Internet ?

Énorme, comparée à celle que j'avais avec la peinture (400 000 visites depuis le début du site il y a deux ans et demi) et peu comparée aux possibilités du réseau, j'imagine que certains sites de cul génèrent des centaines de milliers de visites par jour. Les réactions sont nombreuses et ne se limitent pas au temps des expositions. Les propositions de collaborations, d'expos, d'interventions, sont simplifiées sur le Web, tout est très simple pas besoin de faire du pince-fesses dans les vernissages pour montrer qu'on existe... et puis c'est une façon de court-circuiter les institutions même si elles peuvent finir par vous mettre la main dessus.

Avez-vous déjà joué "live" ?

Je dirais que je joue live dès lors que je présente mon travail au public.
Plus sérieusement j'ai récemment performé (si ça ne se dit pas encore ça viendra) dans une création de Jean-Jacques Birgé, Sarajevo suite et fin, au Festival des 38èmes Rugissants à Grenoble avec Birgé (machines, flûte et livret), Pascale Labbé (voix) et moi-même aux images interactives. Concrètement j'improvisais sur une trame prédéfinie des séquences vidéo et des images que je manipulais avec clavier et souris. L'expérience m'a vraiment plu, c'est une sensation que je ne connaissais pas, la communion du live, on a tellement aimé avec mes camarades que nous avons mis-en place un spectacle autour de certains de nos travaux précédents, somnambules.net, Sarajevo Suite, et un de mes derniers tableaux White Vibes.


Comment envisagez-vous l'avenir ?

Celui de Saddam Hussein, le mien, celui de nos enfants, celui des réfugiés du monde entier ? Je suis d'un naturel optimiste voire naïf, j'ai vu des sourires en Inde qui me font croire que la vie est plus forte que tout, même si la connerie, l'horreur, l'ignorance, l'injustice et la haine sont des valeurs de plus en plus sûres.


Les sites de Nicolas Clauss : flyingpuppet.com (le plus fourni, une monographie qui grandit avec les années), somnambules.net (chorégraphie interactive avec Birgé et Silhol), cinq-ailleurs.com et jai10ans.com (deux travaux de commande, l'un avec des immigrés, l'autre avec des enfants).
Pour jouer avec les tableaux, une liaison à haut débit (ADSL, câble...) est fortement recommandée. Il est également nécessaire d'aller télécharger le plug-in gratuit Shockwave sur le site macromedia.com




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