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e-novateur 07.06.2003

Nicolas Clauss, Flying puppet et l’art numérique.

Nous avions déjà remarqué, au fil de quelques détours sur le web, les créations de Nicolas Clauss et de ses acolytes créatifs. Nous vous en avions parlé…Aujourd’hui l’e-novateur laisse la parole au créateur de Flying puppet, Nicolas Clauss, éminent représentant de l’art numérique. « Art numérique », oui ! Entendez-là « créations à part entière » et non copié/collé de frasques d’artistes en mal d’inspiration ou de reconnaissance ! Cela vaut la peine d’être souligné… Le voile se lève sur la toile et sur ses vertus artistiques par le biais d’un jeu de questions-réponses on ne peut plus édifiant…

Qu’est-ce que Flying puppet ? Comment est né ce projet ?

Flying puppet est une vitrine qui me permet de diffuser mon travail plus simplement qu’off line.
Lorsque j’ai découvert la possibilité de mettre en ligne des travaux interactifs de petite taille, j’ai compris qu’il y avait là un espace à investir. Nous avons créé, début 2001 lecielestbleu.com dans un premier temps avec Frédéric Durieu et Kristine Malden (puis Jean-Jacques Birgé) pour y mettre nos expérimentations de l’époque. Puis dans un soucis d’indépendance et parce qu’il m’a fallu le temps de comprendre comment fabriquer moi-même un site, j’ai créé mon propre espace d’expérimentation en ligne : flying puppet, le nom du site ressemble à ce que je faisais à l’époque, des animations interactives plus ludiques qu’artistiques, avec des danseurs filaires en flash que l’on pouvait manipuler telles des «marionnettes volantes».

Progressivement le site s’est enrichi de collaborations, principalement avec des musiciens venus de divers horizons (François Baxas, Patricia Dallio, Hervé Zénouda et bien d’autres) et surtout le compositeur Jean-Jacques Birgé ( http://www.drame.org) avec qui nous avons co-signé la moitié des tableaux du site.

Aujourd’hui flying puppet, qui existe depuis un peu plus de deux ans, compte une cinquantaine de tableaux/modules interactifs que l’internaute peut manipuler à sa guise dans un temps relativement court. Je tiens au format « court » de ces tableaux souvent à écran unique qui correspond d’avantage à ma sensibilité de peintre. On trouve aussi sur le site des projets plus longs comme Cinq Ailleurs (réalisé dans le cadre d’une résidence à l’ECM des Mureaux) ou Somnambules, une collaboration avec Jean-Jacques Birgé et le danseur/chorégraphe Didier Silhol que nous venons de mettre en ligne (http://www.somnambules.net).

Comment définiriez-vous le Net art ?

L’appellation Net Art (net-art, net art, net.art ????) a au moins deux acceptations. Du point de vue de nombre de ses acteurs le net art serait un art sur le net utilisant le réseau comme médium (voir Jodi, une large partie du collectif Incident.net, les Rhizomers en majorité – voir rhizome.org - et bien d’autres).
On trouve un bon exemple de ce net art avec les travaux de Mouchette qui fait participer l’internaute en intégrant ses réactions à l’œuvre ou encore ceux de Reynald Drouhin qui placent le réseau au cœur de son travail dans des pièces comme rhizome ou des frags (qui s’appuient respectivement sur de multiples serveurs et sur des moteurs de recherche).
Pour un public plus large et un peu moins avisé le net art serait une appellation générale pour nommer l’art multimédia en ligne.
Ainsi les travaux présenté sur flying puppet ne seraient pas vraiment du net art pour les premiers mais plutôt de l’art numérique ou multimédia disponible sur le Net.
Pour ma part, cela fait un peu plus de trois ans que je suis passé de la peinture au multimédia et je ne sais toujours pas comment appeler ce que je fais, concernant mon travail je parle de « tableaux interactifs ».

Quelles sont les réactions du public face à cette nouvelle forme de création ?

Il y a des publics différents selon les formes que peut prendre ce type de création. Certains travaux sont très ardus et ne touchent qu’une poignée d’irréductibles (une grosse partie des travaux présentés par la plate forme new-yorkaise Rhizome.org), d’autres plus « grand public » comme Modern Living (ou Nails) du hollandais Han Hoogerbrugge ou encore pianographique.com de Jean-Luc Lamarque vont être fréquentés par plusieurs milliers de visiteurs chaque jour. Il est difficile de parler des réactions du public en général, tant les personnes qui le composent divergent dans ce qu’ils recherchent et ce qu’ils trouvent.

En ce qui concerne flying puppet, les visiteurs, relativement nombreux, m’envoient souvent des messages de remerciements et d’appréciations, mais comme partout ailleurs, les gens écrivent rarement pour vous dire qu’ils trouvent votre travail mauvais.

Puisqu’on parle du public, il est important de rappeler qu’il se composent d’internautes du monde entier (dont 10 à 15% de français pour f. p.), ce qui est très étrange à appréhender car si vous êtes « massivement » visité d’un certain point de vue, le public que vous touchez dans un pays donné, et notamment en France, reste très réduit.

Enfin je suppose que faire un spectacle devant 500 personnes est autrement plus excitant que d’avoir 10000 inconnus qui le même jour cliquent sur un lien hypertexte et se retrouvent sur le site (oui ça arrive, c’est jubilatoire et frustrant à la fois). Dans le premier cas vous pouvez sentir les réactions voire l’émotion de vraies personnes, sur le net, à part des mails d’encouragement (qui en un sens sont très précieux), le public reste une donnée statistique que vos mouchards vous fournissent.


Pourquoi avoir choisi Internet comme médium d’expression artistique ?

Là encore on en vient à la problématique soulevée par le label « net art ». Je ne pense pas utiliser internet comme médium mais plutôt comme média ou support de diffusion. Si j’ai choisit les arts numériques c’est sans doute parce que j’avais l’impression d’être dans un cul-de-sac avec la peinture. Cette nouvelle forme me permet de créer des choses que je n’ai jamais vu ailleurs, c’est une sorte de virginité (même si les références aux travaux antérieurs demeurent), une liberté extrêmement stimulante.
Et puis le médium numérique est formidablement riche, il permet d’utiliser de la vidéo, du son, le geste du spectateur, le temps, le mouvement…

Que peuvent apporter des initiatives telles que les vôtres à l’art dit « conventionnel » ?

Ce n’est pas à moi de le dire. Je ne me pose pas la question, je fais.

Comment réagissez-vous face au pullulement de « créations » sur Internet ?

Je suis assez curieux pour suivre un peu ce qui se passe sur le net et je ne trouve pas qu’il y ait autant de créations que votre question le suppose. J’aimerais au contraire en voir plus.


Qu’est-ce qui vous énerve et vous enchante lorsque vous parcourez le monde virtuel ?

J’ai souvent l’impression de voir beaucoup trop de travaux froid, cérébraux et en somme ennuyeux. Je ne partage pas l’intérêt de certains pour le réseau en tant que sujet d’investigation, de réflexion ou de création sauf lorsque c’est très bien fait.
J’ai par ailleurs beaucoup de mal avec certaines productions en flash très technoïdes et formatées.
J’aime qu’un travail me touche de façon sensible et/ou poétique. Je trouve fatigant la création qui met en avant la technique au détriment du sensible.
Je suis enchanté par des créations ici et là mais je vous renvoie à la page de lien du site (http://www.flyingpuppet.com/liens.htm) qui contient une partie de ce qui me touche ou m’intéresse sur le net.


Internet et le Net Art ont-ils des limites ?

Oui, celles de l’écran. Tout ce que je crée je l’imagine sur grand écran dans une salle obscure.
Et puis bien sûr il y a une absence cruelle de matière et de texture, la froideur du matériel informatique et surtout les trop souvent mauvaises conditions de réception de l’œuvre (vitesse de la machine, mauvaises enceintes, mauvais réglages de l’écran … sans parler de la vitesse de téléchargement). Pour le reste je laisse répondre les théoriciens du net art, et ils sont très nombreux.

Face aux autres médias en place, pensez-vous que les initiatives telles que les vôtres ont l’écho médiatique qu’ils méritent ou existe-t-il une ségrégation du « monde réel » face à la toile ?

Bien sûr lorsque vous vous présentez comme artiste du net (ou je ne sais quoi) vous n’intéressez pas grand monde mais peut-être, et je le souhaite, que cette tendance va changer grâce aux développements et aux améliorations du réseau.
Nous n’en sommes qu’au début, les premiers travaux sur le net n’ont pas dix ans.

Je profite de la question pour saluer des médias comme Télérama.fr ou Libération (pages « numériques » du vendredi), des exceptions dans les grands médias français qui continuent à relayer les arts numériques.
On a supprimé après la fameuse explosion de la bulle Internet de « nombreuses » émissions télé ou radio (net plus ultra sur France Culture), des rubriques multimédia dans des journaux et des magazines grand public qui traitaient de la création en ligne...

Quant à flying puppet, je n’ai pas à me plaindre de l’exposition médiatique pour le moment.


Je vous offre une baguette magique ! Quels seraient les trois vœux que vous souhaiteriez voir se réaliser concernant Internet et le Net Art ?

Un vrai haut-débit gratuit pour tout le monde. Une inversion de la fréquentation sur les sites pornos et les sites d’arts numériques. La fin des pubs par mail.

Merci !

Propos recueillis par Caroline Lhonneux.

 

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