articles - biographie - actualité

 


PARIS CONECTION, 02-2002




Introduction sur N. Clauss par Jim Andrews

(+ interview)

La plupart du temps, le travail de Nicolas Clauss met en jeu des collaborations. Ensemble avec Jean-Jacques Birgé, ils réalisent un travail considérable : Birgé compose la partie sonore et musicale, et sans aucun doute bien davantage. Il y en a d'autres aussi ; Clauss a collaboré avec Antoine Schmitt pour une pièce appelée "Dead Fish", avec Lamarque pour une pièce du Pianographique appelée "Sudden Stories", et avec Durieu sur "Dark Matter" et "Sorcière". En visitant flyingpuppet.com, le site de Clauss, on trouve des collaborations avec une large palette de gens différents.

Bien qu'il ne soit pas programmeur, il connaît suffisamment le Lingo (il utilise Director) pour faire ce qu'il veut, semble-t-il. Durieu lui a appris Director - on ne peut rêver meilleur professeur. Mais si vous regardez le travail de Durieu ainsi que celui de Clauss, vous vous rendez compte que Clauss a suivi sa propre voie. Ce qui est bien naturel. Plaignons le pauvre étudiant qui admirerait assez le travail de Durieu pour essayer de suivre le même chemin sans être un mathématicien et un programmeur entraîné. Le chemin vers le désespoir assurément. Certains vont où ils ne peuvent être suivis.

Non, Clauss a suivi son propre chemin. Dans les programmes que j'ai vus de lui, son lingo est entièrement contenu dans le script d'image. Entendez que l'action et l'interactivité sont entièrement contrôlées par un script, le script du marionnettiste, d'une certaine manière. Plutôt que de créer des objets plus ou moins indépendants avec leurs propres comportements, les travaux de Clauss sont des travaux à "script unique" dans lesquels les différents médias sont subordonnés au comportement global de la pièce.

Ceci peut vouloir dire que les travaux atteignent une grande cohésion. Et c'est ce qui se passe dans certains de ses travaux. Cela peut aussi vouloir dire que la programmation est limitée en étendue. Mais l'innovation en programmation n'est pas ce qu'il cherche. Dans l'interview ci-dessous, nous trouvons l'échange suivant :

Andrews : Certains de vos travaux récents, comme "Avant la nuit" et "Les Dormeurs" mettent en œuvre des notions intéressantes de cinéma interactif, il me semble. Pensez-vous que cela soit une bonne description ? A quoi aspirez-vous avec ce genre de travaux ?
Clauss : Oui et non. Je dirais images animées interactives plutôt que cinéma, dont je ne suis pas sûr qu'il puisse être interactif. C'est quelque chose de nouveau à sa manière entre le cinéma expérimental et la peinture. Je m'attache à explorer cet espace encore neuf entre la vidéo, l'interactivité et la peinture, et je trouve cela très excitant.
"Avant la nuit" et "Les Dormeurs", le premier surtout, m'a-t-il semblé, montre un grand intérêt à ce sujet. L'aspect pictural de "Avant la nuit ", avec ses textures superposées sur les images plus photographiques, expriment particulièrement bien la direction que Clauss décrit ci-dessus.

C'est une approche très différente de l'influence de la peinture sur les arts numériques que celle que l'on trouve dans les travaux de Mark Napier, par exemple, qui est lui aussi peintre. Mais il y a New York d'un côté, et Paris de l'autre. Et l'on a aussi l'impression que Clauss prend encore la peinture au sérieux, d'une manière dont Napier n'arrive plus à se forcer à faire. Mais aussi, Clauss travaille avec la vidéo et la photographie, alors que Napier tend plutôt à amener l'art de la programmation au grand jour. Sont-ils aujourd'hui plus différents comme artistes qu'ils ne l'auraient étés comme peintres ? De la peinture, à travers de nombreuses influences, et jusqu'au moniteur pour leurs deux démarches. Le cadre est plus grand et plus petit, pour l'un comme pour l'autre, que s'ils étaient restés peintres. Le cadre du monde met en œuvre les ordinateurs de manière forte. Et la différence entre eux en ce qui concerne ce qui arrive sur le moniteur ? Et au bout des doigts... et où et comment cela est vu... c'est un contexte mondial.

Une des choses intéressantes à propos du groupe informel, et souvent collaborant, d'artistes parisiens dont nous parlons, est l'étendue de ces artistes dans le champ des arts, des médias mais aussi de la programmation et des mathématiques. Et pas seulement l'étendue mais aussi l'intensité de chacun d'entre eux. Le niveau artistique et de savoir-faire ci-inclus, la passion, et la productivité. Clauss compense son manque d'habileté en mathématiques et en programmation par une vision de l'expérimentation " avec l'espace entre la vidéo, l'interactivité et la peinture", et par une grande expérience et son intérêt pour de nombreux arts. Et pour une habileté inhabituelle à réaliser des travaux collaboratifs. En plus, bien sûr, il a un regard et une oreille '"poétiques". Le désir de plénitude que les gens de tous âges ressentent est exhaussé d'une manière magnifique dans le travail collaboratif de ces artistes.

Il sera intéressant de voir, avec la suite de son travail, s'il sera capable de garder son degré d'invention sans avoir à plonger plus profondément dans la programmation. Il arrive souvent à des artistes qui ne savent pas programmer tout ce qu'ils veulent d'atteindre un point où ils commencent à se répéter, incapables d'implémenter ce qu'ils imaginent, ou pire, incapables d'imaginer au-delà de ce qu'ils savent.

Bien que Clauss ne soit "pas intéressé par le code", en regardant son travail, il n'est pas difficile de voir qu'il dépend du code de nombreuses manières. Aussi, les "idées de programmation" n'ont pas la variété que nous trouvons dans le travail de Schmitt par exemple, qui fabrique des algorithmes qui seront utiles non seulement dans son propre travail mais qui concernent le mouvement humain en général, dans d'autres applications. C'est une sorte de combinaison entre art et recherche qui inclue l'art et la programmation. De manière similaire, les "idées de programmation" de Napier ont souvent à voir avec la technologie client-serveur et mettent en oeuvre des algorithmes généraux pour divers types d'échanges de données à travers le net, dans le contexte de l'art. Les "idées de programmation" de Clauss sont plus orientées vers ce qu'on pourrait décrire par des "problématiques narratives" et des problématiques de "peinture numérique". Sa synthèse est entièrement dans le champ des arts.

Il y a des similarités de programmation entre "One Day on the Air" et "Massacre". L'un est à propos de la radio et l'autre de la peinture. La nature de l'interactivité dans les deux crée une sorte de rhétorique de la transition, différente dans les deux cas. C'est une sorte de machine narrative poétique. L'interactivité pilote ces travaux comme les verbes pilotent une phrase. Cela fonctionne pour ces deux travaux car ils sont plutôt différents dans ce qu'ils révèlent de l'étendue de l'idée interactive comme machine narrative ou rhétorique. Ces formes ont une certaine étendue.

Il y a aussi une répétition intéressante entre l'effet de la "peinture" dans "Avant la nuit" et "Dark Matter". De temps en temps, l'effet de texture lorsque l'on clique est utilisé de manière différente dans les deux pièces. L'effet dans "Avant la nuit " nous rappelle un des effets que la surexposition peut avoir en photographie. L'effet dans "Dark Matter" est plus explicité sur les différents usages de "l'encre" dans Director, mais c'est aussi de manière intriguante, une sorte de mixture "picturalo-programmative" de peinture par code. Clauss expérimente avec les encres de Director comme un peintre le fait avec la peinture.

On est aussi frappé par la synthèse excellente et l'expérimentation avec le son dans le travail de Clauss. Comme avec la programmation dans des pièces comme "Dark Matter", qui est une collaboration avec Durieu et Birgé. Les différents arts et médias fonctionnent bien ensemble. Et les artistes eux-mêmes fonctionnent bien ensemble.

L'aspiration de Clauss à expérimenter " avec l'espace entre la vidéo, l'interactivité et la peinture" est excitante et il a déjà réalisé des travaux intriguant dans ce sens. Son travail peut être mis en relation avec ceux de Michiel Knaven en Hollande, qui utilise aussi Shockwave, et Reiner Strasser en Allemagne, qui est sûrement maintenant le grand-père de ce genre de travaux sur le web.

Ainsi Clauss est constamment collaboratif; il fait partie d'un groupe qui traverse brillamment les arts, les médias, la programmation et les mathématiques. Il est un art non seulement entre les arts, mais entre les gens.

Comme il dit dans son interview, il y est à plein temps. Cela demande une certaine confiance en soi et une détermination particulière de sauter le pas ainsi sans filet, et de rester en l'air. Qu'il puisse continuer à voler haut et à n'être la marionnette de personne !




Interview


Andrews Nicolas, quelles sont vos relations avec Durieu, Schmitt, Jean-Luc Lamarque, servovalve et Jean-Jacques Birgé ? Depuis combien de temps les connaissez-vous ?

Clauss Nous nous connaissons tous sauf servovalve que je n'ai pas encore rencontré. Je ne connais que son travail qui est très intéressant. Frédéric est un ami, nous nous sommes rencontrés quelques mois après que j'ai vu un CD-ROM appelé "Alphabet" dont il était coauteur avec Jean-Jacques Birgé, ensuite, il y a presque trois ans, il m'a appris quelques bases de Director et finalement nous avons fondé ensemble ce qui est devenu son propre site maintenant : LeCielEstBleu, quelques mois avant que je n'aie mon propre espace, flyingpuppet.com. J'ai rencontré Antoine l'année dernière lors d'une fête chez Birgé, et Jean-Luc Lamarque à peu près à la même époque.
En 1999, je suis revenu de l'étranger après un voyage de six ans (de l'Inde à la Corée et l'Australie), j'ai refait quelques expositions en France et j'ai décidé de voir ce qui était faisable avec des ordinateurs. Dans une exposition j'ai vu le CD-ROM Alphabet, j'ai été impressionné, j'ai demandé autour de moi et quelqu'un m'a dit que ça avait été fait avec un logiciel appelé Director. J'ai récupéré le logiciel et j'ai commencé à travailler avec comme un fou pendant trois mois (au début de 2000). Un CD-ROM est sorti de ces trois mois (appelé "voyages") et j'ai alors contacté un des auteurs d'Alphabet, Murielle Lefèvre (dadamedia) qui a beaucoup aimé ce que j'avais fait, et nous avons commencé à travailler ensemble sur un projet que j'avais à propos de la danse (avec des danseurs dessinés en Flash sous Director). Murielle m'a présenté au programmeur et coauteur d'Alphabet, Fred. Nous sommes devenus très proches avec Fred et en 2001 nous avons démarré LeCielEstBleu.
Pendant ce temps, Fred m'a présenté à Jean-Jacques et nous sommes devenus amis. Je le connaissais de nom comme j'avais quelques CD qu'il avait fait avec son orchestre "Un Drame Musical Instantané", un groupe jouant de la musique créative qui a fait plus de 25 disques. C'était très excitant pour moi de travailler avec un musicien dont je connaissais la musique depuis dix ans. Jean-Jacques est probablement LE musicien multimédia en France. Il a fait quelques travaux multimédias sous son nom aussi ("Carton") et avec Antoine ("Machiavel" qui est excellent et basé sur 111 boucles vidéos). Jean-Jacques vient du cinéma, il a réalisé quelques films.
Quand nous travaillons ensemble, j'amène les images et l'idée initiale et ensuite nous faisons des allers-retours entre mes images et ses sons. Nous travaillons ensemble depuis un an et demi.


Andrews Quels sont vos préoccupations qui sont différentes des leurs à votre avis ?

Clauss Je pense que mon approche est plus celle d'un peintre. Je ne suis pas intéressé par la programmation. Disons que je me vois comme un peintre qui utilise Director comme un écrivain ferait en utilisant un logiciel de traitement de texte. Je sens que je pourrais utiliser un autre médium demain si je voulais (ce qui serait différent bien sûr).


Andrews Certains de vos travaux récents, comme "Avant la nuit" et "Les Dormeurs" mettent en œuvre des notions intéressantes de cinéma interactif, il me semble. Pensez-vous que cela soit une bonne description ? A quoi aspirez-vous avec ce genre de travaux ?

Clauss Oui et non. Je dirais images animées interactives plutôt que cinéma, dont je ne suis pas sûr qu'il puisse être interactif. C'est quelque chose de nouveau à sa manière entre le cinéma expérimental et la peinture. Je m'attache à explorer cet espace encore neuf entre la vidéo, l'interactivité et la peinture, et je trouve cela très excitant.


Andrews Votre site s'appelle flyingpuppet.com. En lingo, on peut "puppetiser" (pantiniser) des images-objets. Je me souviens avoir vu le mot "puppet" sur le site d'Antoine à propos de son projet "avec détermination". Pourquoi votre site s'appelle-t-il "flyingpuppet.com" ?

Clauss ... et le PuppetTool de Durieu... "Flying Puppet", "flyingpuppet", je ne sais toujours pas comment l'écrire et je ne sais pas exactement pourquoi je l'ai choisi, mais je n'ai pas pensé au mot lingo de "puppet".


Andrews J'ai vu que vous avez collaboré récemment avec Jean-Luc Lamarque sur un travail dans le site du Pianographique, appelé "Sudden Stories". Comment cela s'est-il passé ?

Clauss En gros, nous avons utilisé le code de Jean-Luc pour faire notre propre pianographique avec Birgé. Nous voulions faire un drame musical que les joueurs utiliseraient doucement. Je n'aime pas d'habitude les interfaces complexes (je préférerais utiliser uniquement la souris), mais c'était motivant de faire quelque chose de très différent de ce qui se trouve sur flyingpuppet. Jean-Luc est plutôt ouvert sur les différents styles et collaboration, ce qui est une qualité.


Andrews Je remarque que vous, Antoine Schmitt et Durieu semblez tous partager un intérêt pour le mouvement programmé. Est-ce quelque chose dont vous parlez avec eux ?

Clauss Oui, parfois. Je les appelle quelquefois pour avoir des conseils en lingo. J'imagine que je connais 1% de ce qu'ils savent en programmation.


Andrews Quels autres intérêts partagez-vous avec Schmitt, Durieu, servovalve et Jean-Luc Lamarque?

Clauss Les frites en Belgique et l'interactivité avec Fred. Un ami cher avec Antoine (Jean-Jacques Birgé) et sûrement beaucoup plus.


Andrews Vous utilisez tous Director et êtes artistes-programmeurs. Comment cela se fait-il?

Clauss Je ne me vois pas comme un artiste-programmeur. Un artiste, sûrement, mais pas un programmeur. Ceci dit, Director permet l'utilisation d'encres comme celles de Photoshop, mais ce n'est toujours pas le cas de Flash.

Andrews Que profession exercez-vous ?

Clauss Je suis artiste à plein temps, et oui, j'en vis, principalement à travers des projets commissionnés comme Cinq-ailleurs.com, ou avec des ateliers et des interventions diverses.



articles - biographie - actualité