PopTronics - 11/03/2012 "Terres arbitraires", les yeux dans les banlieues
"Terres arbitraires", les yeux dans les banlieues par Annick Rivoire Un travail de sape contre le bruit médiatique. C’est l’intérêt de cette proposition artistique de fond. Comme une course d’endurance contre la bêtise et les clichés qu’on associe le plus souvent aux jeunes de ces cités. Comme un travail de sape à mener sur le long terme contre les discours médiatiques, les petites phrases de politiques hâchées menu, qui nous « vendent » de la racaille au pied des cages d’escalier, qui enquillent les clichés sur cette jeunesse qui tient les murs et menaçerait carrément la démocratie... La campagne présidentielle charrie son lot de sentences ou, pire, de non-dits : qui pour revenir avec Nicolas Sarkozy sur ses promesses de plan Marshall des banlieues, qu’il allait « nettoyer au Karcher » ? « Terres arbitraires », d’une toute autre manière, impose sa vision tranquille d’une France métissée chargée en vitalité. Echanger les regards. L’artiste multimédia Nicolas Clauss, depuis plus de deux ans, sillonne donc cette « zone » française, espace géographique indéterminé dont on parle sans jamais y mettre les pieds, administrativement dénommée ZUS, pour « zone urbaine sensible ». Son travail d’immersion, caméra de poche HD au poing, micro en bandoulière, à la façon d’un journaliste documentariste, est 100% artistique (« je travaille sur l’émotion », dit-il). L’installation vidéo qu’il a imaginée et dans laquelle il plonge le visiteur à la Condition publique cet hiver, à Mantes-la-Jolie ce printemps, à la Cartoucherie de Vincennes avant l’été, crée un dispositif d’écoute troublant, dérangeant, qui oblige chacun à se confronter à ces jeunes qui font peur. Une façon de « les regarder dans les yeux, pas de regarder la misère », dit-il. Ces têtes black, blanc, beurs sont-elles ces cailleras que les médias et les politiques stigmatisent sans jamais chercher à les rencontrer ? Face au spectateur, 28 écrans de toute taille (« Darty-like »), sont posés en cercle presque concentrique, comme pour mieux enserrer le spectateur dans cette scénographie. Le dispositif a l’air simple (des écrans, des visages filmé en gros plan, en noir et blanc, un son spatialisé), et c’est une de ses qualités. Pour une fois, une installation multimédia immersive porte magnifiquement son nom. Pour en rendre compte, tentons donc le découpage, à la recherche de la substantifique moëlle du talent (oui bon, le talent n’a pas de moëlle, c’est une image…). A propos d’images, justement, quelques vues de l’installation à la Condition publique. (Diaporama, utiliser le mode plein écran pour afficher les informations). Ce qui frappe, outre la jeunesse et la « diversité » des visages et expressions, c’est l’humanité qui s’en dégage, mélange de douceur, de vitalité, d’espièglerie, d’énergie. Nicolas Clauss raconte « l’adhésion immédiate » de ceux qu’il a rencontrés : « Quand je leur explique que moi je viens juste pour prendre, que je n’ai rien à donner, je suis artiste, ils répondent : "ah bon c’est cool alors.". » A sa création, au Théâtre de l’Agora d’Evry en septembre 2010, « Terres arbitaires » a été filmée par la documentariste Françoise Romand :
La bande-son est encore très « politique », forçant un peu le trait sur ce que nous sommes sensé penser de ce décalage son-images.
En still videos, les visages en gros plan s’enchaînent selon un principe de ballet semi-improvisé, où, par moments, les noms des 750 ZUS françaises s’affichent. Des noms plutôt poétiques d’ailleurs, rappelant qu’il s’agit là de micro-territoires, pas de villes. Les visages sont d’abord sérieux, fermés, sans un sourire, certains ne tiennent pas la durée et le sourire pointe. C’est le seul principe de mise en scène de Nicolas Clauss : filmer des visages en gros plan, en leur demandant de « jouer au jeune de banlieue ».
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