Jean-Jacques Birgé (blog) - 21 décembre
2006
Un palpitant
J'écris ces lignes au fur et à mesure que
je découvre Un palpitant, la nouvelle uvre de Nicolas Clauss
produite par L'Espal. Elle obéit aux mêmes lois de navigation
que nos Somnambules et continue le travail entrepris par Nicolas au Mans
avec l'incontournable De l'art si je veux, une fantastique interrogation
sur l'art moderne et contemporain par des jeunes de la banlieue mancelle.
Cette fois-ci, les adolescents sont allés à la rencontre
de personnes âgées. Ils les interrogent sur l'amour, sur
la mort et mettent encore leur grain de sel...
Tout commence par un envol de passereaux rouge sang en formation de cur.
Les notes du carillon semblent sorties du dernier album de Björk.
Les voix tremblantes de la vieillesse accompagnent les mains ridées
qui tournent les pages. Il faut rester longtemps sur chacun des neuf tableaux
animés pour en découvrir les richesses cachées, comme
d'interminables baisers. La souris caresse l'écran noir. De temps
en temps, on ne peut s'empêcher de cliquer pour que les souvenirs
se transforment en bouquets de fleurs écarlates.
La rencontre entre les jeunes et leurs aînés glisse naturellement,
comme une lettre à la poste. Lettres d'amour, lettres volées,
faire-part. Tandis qu'on passe à la scène suivante, par
une flèche qui ne traverse pourtant aucun cur, l'histoire
prend forme. Des cuivres bien corny annoncent les mariés. Sur un
air d'accordéon, les vieux comparent la vie d'antan avec celle
d'aujourd'hui. Sans tabou ni tromperie. Il parlent donc de l'amour, de
le faire et du temps. Du temps qu'il faut avant que passe la faux. Chacun
s'interroge avec tendresse et sincérité. Ça pourrait
être ringard, c'est simplement beau, l'alliance de l'ancien et du
moderne, les perspectives qui s'enfuient, en avant, en arrière,
retour à la terre, projection dans l'avenir... Ce ne sont pas des
tranches de vie, mais des tranches de gâteau.
Les traitements graphiques de Nicolas Clauss sont époustouflants,
transparences qui se fondent dans le blanc, surimpressions dessinant de
nouveaux visages, dissolution des supports originaux : peinture, photographie,
vidéo sont transmuées en cristaux liquides... La variété
des sources n'empêche aucune union. L'art participatif dont l'artiste
s'est fait le héraut se retrouve aux deux extrémités
de l'uvre, pour commencer dans les ateliers qu'il anime et en bout
de course par le plaisir qu'il offre à chaque internaute de vivre
une expérience unique, à son propre rythme. Lorsque l'écran
devient castelet, nous devenons marionnettistes. Les masques tombent,
la mort s'approche doucement, pour celles et ceux qui partent, pour les
autres qui restent. La danse macabre séduit parce qu'elle nous
fait tourner la tête. Ce sont des boucles. Les cycles se superposent.
Éros et Thanatos, couple célèbre, créent un
tissu complexe. Les textures nouvelles rappellent en vrac Bosch, Chirico,
Bacon, Rauschenberg, Spoerri, Boltanski... L'alchimie de la programmation
informatique transforme les baigneurs de celluloïd en cervelle, les
gamètes en planètes, les enfants en vieillards. C'est terrible,
troublant, jamais sinistre. C'est plein de sens, du bon sens qui ne saurait
mentir. Tous les participants ont joué le jeu. On n'en ressort
évidemment pas indemne soi-même. Le battement cardiaque sonne
le glas de cette promenade intemporelle. On l'entend enfin battre à
l'instant même où l'on doit prendre congé. On n'est
plus à un paradoxe près. Clauss pulvérise les a priori
que d'éventuels détracteurs pourraient avoir de l'art produit
par les nouvelles technologies.
Mais attention, vous aussi, vous devrez prendre votre temps. Comme toutes
les dernières uvres de Nicolas Clauss, Un palpitant est un
long métrage. Si vous êtes pressé, ne bâclez
pas la découverte, mais revenez-y. C'est un feuilleton en neuf
épisodes (avec menu accessible en bas à gauche de l'écran).
Chaque tableau possède une profondeur insoupçonnable. Inutile
de se bâfrer. Dégustez lentement ! C'est à prendre
dans tous les sens du terme, car l'évocation de la mort comme de
l'amour va piocher au fond des songes et des secrets de famille trop bien
gardés.
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