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Catalogue de l'exposition "Nicolas Clauss - Séoul 1998"

On entre dans l'univers de Nicolas Clauss comme dans une maison abandonnée. Le silence s'installe. On peut entendre les murs respirer, la peinture se craqueler, le bois se fendre. Quels destins se sont croisés sous ce toit? A quoi servaient ces objets délaissés? Quelle est l'histoire de l'homme sur la photo? On ouvre un tiroir, mélange insolite d'un restant d'existence, de souvenirs qui ne nous appartiennent pas. La pensée vagabonde, l'imagination se trompe et invente un passé à des inconnus. Dans le lieu qui a vécu, la surface lisse n'existe plus. Chaque recoin témoigne d'un temps révolu en instance d'être nettoyé, remplacé par du neuf qui ignorera le précédent. Les toiles de Nicolas Clauss sont des sauvetages, des reconstitutions fictives qui font éclater à la lumière ce qu'on a pas su voir, la beauté de ce qui a failli ne plus être.
Le jean, élément premier du tableau, support de prédilection depuis les débuts du peintre, est devenu presque invisible. L'épais coton bleu s'est fondu dans les couches successives de peinture, de papier et de pierre ponce en poudre, pour ne laisser apparaître que les coutures, les fermetures et les plis, littéralement avalés par la matière toute puissante.
Couleurs nobles et infinies de la terre, le noir devient brun, le sable se gorge de soleil, l'ocre passe au rouge. Elles se mêlent à la poussière, à la peinture fraîche qui dégouline, à la vieille qui s'écaille. Sur ces strates, ce n'est pas le fruit d'un travail qu'on lit mais la marque des années.
Pourtant la méditation sur l'esthétique de la matière avait pour le peintre atteint ses limites. De son dernier voyage en Australie, il a rapporté la force de canaliser sa folie, d'accorder un sens à son œuvre. Dans ses derniers travaux, tableaux et "natures mortes", il révèle plus librement sa fascination pour ce qui va être détruit, laisse aller ses réflexions sociologiques, nous parle de ses années passées en Corée, de sa vie de nomade, de son amour et de sa solitude.
Dans un grand tableau ocre, Il compose avec sa chemise vide, ses pinceaux, son attirail de peintre parsemé d'indices laissés au hasard de l'inconscient. Il devra déchiffrer lui-même ces traces de l'absence pour comprendre que cette toile c'était lui sans elle, le "self-portrait without you". Ailleurs, il mélange les restes d'une Corée qui a brisé sa beauté et ses traditions: dans la boîte aux tons clairs, les débris sont rassemblés comme les derniers trésors. Il veut voir derrière les objets, saisir la puissance d'une simple serpillière qui a ramassé la crasse et les bouts de paille … avant de trôner dans un improbable de cadre doré. Des visages, des silhouettes se glissent dans les tableaux, insistent, réapparaissent plusieurs fois. Ici l'image se cache, rongée par la couleur, voilée, presque perdue. Là, dans la masse sombre, elle s'illumine, attire l'œil comme une ampoule qui s'allume. Faut-il chercher un fil directeur ? Pourquoi la photo de Canaux ? Pourquoi ces indiens, ces manifestants, ces gitans ? Les gens et les choses se côtoient dans la réalité sans que personne ne s'en préoccupe. Encadrés, que deviennent-ils ? La juxtaposition des éléments va au-delà d'une recherche harmonieuse. Elle rend hommage à des formes, à des visages d'un autre temps. Elle immortalise des anonymes, des gueules qu'on pourra regarder, encore. Les bouts de texte, souvent des caractères asiatiques, ne sont pas non plus une piste. Il faut oublier leur sens, les regarder comme des suites de signes portant en eux leurs secrets. Des messages, des mots que quelqu'un a collés sur le mur.
L'objet et la photo n'existent pas individuellement, ils participent à la matière du tableau, à sa lumière, à son relief, comme le tableau lui-même est une des pièces d'un ensemble plus vaste où Nicolas Clauss offre une seconde vie à ce qu'on allait perdre à jamais.

Corinne Leclercq

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