Endless Landscapes (série)

Tableaux vidéo aléatoires / Nicolas Clauss - 2020

(cadre, écran lcd, raspberry, programation Python)

Entre photographie, image en mouvement, documentaire et arts visuels, Endless Landscapes est une série de pièces vidéographiques mettant en scène des groupes, des foules, des scènes de la vie quotidienne filmées dans l’espace public. Dans ces pièces un très court instant, d’une à quatre secondes, est exploré dans le temps et dans l’espace. La vidéo y devient un paysage en mouvement, sans début ni fin, où la temporalité est dilatée, où l’image filmée s’éloigne de sa direction première pour s’aventurer vers d’autres possibles. L’exploration de l’image qui s’appuie sur le hasard algorithmique donne de nouvelles interprétation, un nouveau statut à ce qui a été filmé

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Présentation des oeuvres (Instants Vidéo, Marseille 2021)

 

 



Extraits :

 

 

Endless Landscapes, Paysages sans fin. Que sont ces paysages ? Principalement des visages, des silhouettes, des formes de l’humain, rarement personnalisés, ici, mais saisis dans des ensembles, dans des multiplicités. Et c’est déjà plus que l’amorce d’un travail : peut-être esquissent-ils une histoire, des histoires, la leur, en solo, à deux, à trois. Ce n’est pas important en soi, ça ne l’est que parce que ça nous permet de leur en inventer une, soit banale, soit raisonnable, soit merveilleuse, et c’est bien là notre travail de spectateurs en réponse à l’œuvre. Ce qui paraît plus important, c’est l’effet de tremblement perpétuel que Nicolas Clauss parvient à imprimer à chacun d’eux, et à tous. Pas un tremblement de peur, mais une vibration interne qui s’extériorise pour dire un quelque chose qui lui appartient en propre, et que c’est à chaque fois à nous de formuler. Vibration qui interroge donc : d’emblée la personne figurée dans son pas de va-et-vient semble hésiter en essayant de réfléchir à ce qu’elle est censée faire, puis revient sur ses pas pour marquer cette réflexion ; ou peut-être encore, comme si, de ce présent immédiat, elle voulait constituer non pas un souvenir, mais une mémoire, la mémoire anthropologique de ce que l’on fait sans y penser, constituer en quelque sorte un catalogue qu’elle compulserait à un autre moment, un moment incertain de soi, indéfini, rêve ou cauchemar. Chaque regard est inlassablement repris dans une double fonction de sujet-objet, comme si la première saisie du mouvement donnait corps au réel et que la deuxième appelait une concentration de la mémoire pour formaliser ce réel immédiat sous une forme tant soit peu définitive. Du coup, c’est comme se dévoiler à soi-même : gens qui traversent ou titubent à un carrefour, et les pieds hésitent plus encore que l’expression des visages ; ou ces enfants agglutinés en une masse parfumée de sourires plus indéfinis que celui de la Joconde, d’yeux innocents qui interrogent sans en avoir l’air, en attente de découvrir ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas. Ailleurs, jeux entre pères et fils, jeux sur une plage, d’autres démarches évoquant un tango borgésien : corps et pensées se rejoignent dans la danse, dans un va-et-vient qui trame la musique silencieuse et secrète de chacun de nos gestes, de nos mouvements. Dans cette vibration hautement poétique Nicolas Clauss, en l’énonçant, ne cesse d’interroger le doute, ainsi que son passage infiniment répété de l’esprit vers le corps ou du corps vers l’esprit.

Jean-Paul Manganaro